L'harmonisme rationnel

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L'illusion « égoïste » : profit et intérêt

Certains artifices de langage influencent notre comportement en court-circuitant la pensée.
Prenons l'exemple de la formule bien connue, « la vie est courte, il faut en profiter ! ».

Comme nous avons généralement plein de désirs, et que l'idée d'une vie courte (donc « trop courte ») induit une frustration par rapport à ces désirs (que nous ne pourrons pas tous réaliser), nous ne pouvons qu’acquiescer à cette formule, et profiter...
Mais cette injonction omet une question pourtant essentielle : comment profiter ? Faudrait-il profiter de tout n'importe comment, même au prix de désagréments ? Elle crée un sentiment d'urgence nous portant à profiter des premières choses qui nous viennent à l'esprit, avant toute interrogation sur ce qui nous conviendrait le mieux. Or, ce qui est premier, et qui nous vient donc à l'esprit, est le plaisir immédiat, et spécialement les plaisirs des sens, et par extension, tout ce qui relève de la consommation et de l'appropriation (parce que c'est ce qui est le plus manifeste, ce que promeut l'organisation sociale actuelle).
Là où cette pensée peut être bénéfique, c'est pour quelqu'un qui vivrait dans une profonde frustration ou négativité : car prendre du plaisir est alors préférable. En particulier, savoir profiter des choses qui se présentent à nous est une compétence fondamentale pour l'harmonie intérieure. Mais cela peut nous faire valoriser exagérément cette pensée, au détriment de notre quête philosophique.

Comme toujours, un examen rationnel des propos permet de ne pas en être dupe. Objectivement, la phrase ne dit rien : « courte » est une appréciation subjective qui résulte forcément d'un désir de faire des choses (lequel est généralement présent). C'est une pétition de principe, un serpent qui se mord la queue : si l'on trouve la vie courte c'est bien parce qu'on veut en profiter... Cette double causalité a pour effet de renforcer artificiellement notre désir, sans découvrir quoi que ce soit.
Ensuite, si l'on n’interrompt pas trop vite notre examen, on réalise au moins que le désir qui nous fait percevoir la vie courte peut être n'importe lequel (puisqu'il n'est pas précisé). Ainsi, un harmoniste qui voudra soulager la souffrance dans le monde retirera de cette phrase qu'il faut qu'il se dépêche de soulager la souffrance dans le monde (car en effet, sa vie est courte), et même qu'il doit prendre garde à la recherche du plaisir (car elle est spontanément présente en nous, et peut ainsi nous faire perdre un temps précieux). Est-ce là ce que la plupart des gens entendent par « profiter de la vie » ?

Une autre formule mérite d'être dénoncée. « Travailler pour soi » (et toutes les variantes du type : « qu'est-ce que ça m'apporte ? »).
Là encore, si on l'analyse rationnellement, on découvre qu'elle est absurde. En effet, « pour » attend un projet, un objectif, quelque chose à réaliser, une évolution dans le temps (qui peut être nulle). Ainsi, on peut « travailler pour agrandir sa maison », « gagner de l'argent » etc. Là oui, ça a un sens. « Moi », et plus généralement, une personne, ne peut pas être un projet. Donc, là encore, notre cerveau va chercher à interpréter rapidement la formule de façon à y trouver un sens. Et il va tout naturellement supposer un projet le plus basique possible. Ainsi, « soi » va devenir « survivre plus longtemps » voire « être plus riche », puisque c'est là un désir fort compréhensible et très généralisé. Et ainsi, la richesse matérielle va être identifiée avec la personne elle-même, tout son être ; bref, elle va devenir encore plus désirable qu'elle ne l'est déjà naturellement...
Une interprétation moins restrictive et tendancieuse serait : « travailler pour satisfaire ses propres aspirations ». Et là encore, celui qui désire soulager la souffrance dans le monde et y travaille (d'une façon parfaitement désintéressée), travaille donc « pour lui »... Si cela vous choque, c'est bien qu'il y a un problème !

Le même phénomène existe avec le mot « intérêt ». L'intérêt, normalement, c'est ce qui nous intéresse, ce que l'on désire, ce que l'on souhaite. L'altruiste libre travaille donc pour son intérêt personnel.
Or, dans notre perception biaisée des choses, l'altruiste ne travaille pas pour son intérêt, pour lui, puisqu'il travaille « pour les autres ». Cela s'oppose donc forcément. Forcément, il se sacrifie (croit-on). Et comme inconsciemment, on perçoit que être libre correspond à travailler « pour soi », « pour son propre intérêt », on est influencé hâtivement dans le sens de l'égoïsme, de la cupidité. Mais la liberté, c'est la liberté de faire ce que l'on veut.
Or, la compassion est tout autant un moteur possible de l'action que la concupiscence ou la cupidité, c'est même une source de bonheur plus durable, comme tout ce qui va dans le sens de l'harmonie.

Ainsi, le bonheur, passe par la satisfaction de nos aspirations les plus profondes, le travail dans ce sens. Il faut donc d'abord les chercher. C'est quelque chose en nous-mêmes, qui ne peut donc être identifié à quoi que ce soit à l'extérieur, qu'il s'agisse d'une réalisation matérielle, d'un comportement précis...
Donc, oui, travaillons vraiment "pour nous", pour notre "intérêt", notre bonheur durable, en ne nous laissant pas enfermer dans le premier stéréotype venu. Une éthique comme l'harmonisme est le fruit d'une telle démarche.

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