L'harmonisme rationnel

facebook

contact
Contact

accueil

Leçon de morale 1: vengeance et insulte

Écouter le texte !

Préambule

Il est souvent question, depuis quelques années, de « remettre la morale à l'école ». Certes, mais quel contenu ? Je crains qu'il ne se limite trop souvent à des injonctions du genre « il faut respecter les différences », « ne pas insulter » etc. À mon avis, quelque chose de plus approfondi serait souhaitable.
Il y a un certain consensus, auquel je me joins, pour que cet enseignement fasse appel à la réflexion plutôt qu'à un simple conformisme. Cela est même carrément incontournable du fait que le public concerné n'est plus aussi docile que celui d'il y a un siècle, et qu'il provient de cultures plus diversifiées. Par ailleurs, il est évidemment préférable d'articuler autant que possible cet enseignement avec la vie de l'école et de la société.

Le besoin d'une éthique commune se fait particulièrement sentir ces temps ci. On parle d'un morale laïque. En particulier à la suite des récents attentats contre Charlie Hebdo, qui, tout en suscitant une grande unité, ont également fait apparaître certaines divisions.
Mais comment établir une telle morale ? Pour que ce soit possible, il faut qu'il y ait quand même des objectifs communs, au départ. Or, ceux-ci existent. Tout le monde aspire à la paix plutôt qu'à la guerre, à l'efficacité plutôt qu'à l'inefficacité, au bonheur plutôt qu'au malheur...

Une idée que je trouve intéressante serait donc que les règles de cette morale universelle, à construire, soient établies ensemble (et ça peut se faire dans les classes).

Je vais donc mettre tout ça en pratique, en répondant à une phrase prononcée par une élève à l'occasion de la minute de silence dans les écoles au lendemain de l'attentat, réponse que l'on pourra considérer comme un cours de moral dans l'esprit que je viens d'évoquer. En pratique cette séance gagnerait à être plus interactive, ceux qui auraient des objections à mon discours pourront d'ailleurs les faire en utilisant le forum...
Voici la phrase, et vous allez sans doute, tout comme moi, comprendre en la découvrant, pourquoi, effectivement, il y a du boulot, et que c'est urgent.
Je cite :
- on ne va pas se laisser insulter par un dessin du prophète, c'est normal qu'on se venge.


La vengeance est-elle acceptable ?

- "Normal"... Que veux-tu dire par là ?
Que l'esprit de vengeance, est quelque chose qui existe, et que donc, la chose n'est pas étonnante ? Auquel cas, oui, bien sûr, la chose existe. Mais ci c'est pour dire que c'est moralement acceptable de se venger, c'est autre chose. Ce n'est pas parce qu'une disposition existe en nous qu'il est souhaitable de s'y abandonner.
Une morale doit être quelque chose qui conduise les êtres à vivre durablement heureux, et donc, en harmonie. Certains parmi vous souhaitent-ils que la souffrance s'étende, qu'un maximum de meurtres aient lieu ? Personne ? Vous voyez donc que nous sommes tous d'accord là dessus, et qu'il y a donc la possibilité de fonder une morale commune.
Mais pour cela, nous devons réfléchir avant d'adopter la première morale venue. Dans un monde où il serait considéré comme bien ou même simplement "normal", de tuer autrui, on comprend aisément que la violence et l'insécurité serait élevées, et qu'au bout d'un moment, il risque de ne plus rester grand monde.
Examinons donc les conséquences de l'instinct de vengeance pour voir si nous allons le considérer comme moralement légitime ou pas ?

la vengeance est le fait de nuire (volontairement) à celui qui nous a nuit.

Tout d'abord, on ne peut empêcher toute nuisance.
Au vu de la difficulté qu'il y a à exprimer les choses, il y aura toujours quelqu'un qui s'exprimera d'une façon incorrecte, ne fût-ce qu'involontairement, et donc, blessera autrui. De plus, du fait que nos besoins fondamentaux sont les mêmes et que les ressources sont limités, il y aura toujours des conflits d'intérêts conduisant à des nuisances mutuelles, fussent-elles minimes. Donc, des nuisances, il y en aura toujours, et si l'on autorise la vengeance, en la considérant comme "normale", plein de gens vont se venger de quelque chose (puisque c'est une tendance spontanée en nous).

Or, nous avons tendance à mieux voir les nuisances des autres envers nous que nos nuisances envers eux. Cela aussi est une réalité qu'il faut prendre en compte. Donc, lorsque vous vous vengez de quelque chose, l'autre va voir avant tout cette nuisance envers lui que constitue votre vengeance (d'antant plus que lorsque vous vous vengez vous ne prenez généralement pas la peine de convaincre l'autre du bienfondé de votre position). Et comme l'autre est semblable à vous (l'instinct de vengeance est universel), il va chercher à se venger de cette nuisance. Il va se venger de votre vengeance, puis vous de sa vengeance de votre vengeance et ainsi de suite. D'où des conflits interminables, alors qu'en l'absence de vengeance, il n'y aurait qu'une petite nuisance momentanée. Et de plus, la violence risque de croître avec le temps (puisque chacun surestime la nuisance dont il est victime et sous-estime celle qu'il provoque chez autrui).
Vous pouvez trouver de nombreuses illustrations de ce phénomène dans l'histoire et la société actuelle, un génocide qui fait de milliers de morts et de mutilés, avait pour origine, que sais-je, un simple regard mal vécu ? Tout le monde l'a oublié, l'origine ultime, obsédé qu'il est par la dernière violence du parti adverse, au nom de laquelle il justifie la sienne (sous prétexte que quelque part la vengeance est "normal"). On a cette évolution dramatique parce ce que chacun, et c'est visiblement une autre tendance qu'il nous faut dénoncer, a une forte tendance à chercher la cause des problèmes chez les autres, surtout ceux qui lui paraissent les plus différents de lui, plutôt que s'occuper de la cause qui se trouve en lui-même (celle sur laquelle il pourrait agir le plus efficacement, pourtant).
Et oui, mes enfants, vous pouvez voir ce genre de chose, parce que, malheureusement, une morale intelligente n'est pas encore clairement et universellement adoptée... et vous comprenez tout l'intérêt, donc, de ce que nous faisons ici.

Le plus fort est que ces inconvénients occasionnés par l'instinct de vengeance ne sont même pas compensés par une quelconque efficacité. L'exemple de l'attentat contre Charlie Hebdo illustre bien cela : ce journal était en train de péricliter, maintenant, ses ventes explosent. Si le but des assassins était de faire arrêter la publication de caricatures, c'est plus que raté !
Bien sûr ce n'est là qu'un exemple, mais cette inefficacité est tout à fait générale. Elle vient, entre autres choses, de ce que le rapport de forces entre deux individus (ou groupes) n'est jamais écrasant. Même si l'un d'entre eux est plus fort physiquement, l'autre peut toujours avoir recours à la ruse, à des alliances etc. Souvent, par peur de vos représailles, il va certes se plier à vos exigences, d'où une certaine illusion d'efficacité, mais au fil de ses soumissions, sa soif de vengeance va croître, et finira tôt ou tard par se manifester. Vous vous dites, je vais lu nuire fortement pour le dissuader, mais plus la nuisance est forte, plus il va vous la faire payer... plus tard. Mauvais calcul ! En ce qui concerne l'être humain, il est préférable de faire appel à la compréhension qu'à la peur !
De plus, n'oubions pas que la contrainte, la peur de représailles, est une souffrance en elle-même, une morale digne de ce nom peut-elle accepter cela ?

Le seul cas où l'effet peut sembler bénéfique, est le cas d'une punition qui serait comprise par celui auquel elle s'adresse. Mais c'est bien parce que l'explication aura fait son effet et/ou que la nuisance initiale est suffisamment importante pour déclencher d'elle même une certaine culpabilité. Dans ce cas, la punition sera acceptée. Mais est-ce vraiment elle qui aura réglé le problème ? Non, c'est bien le désir de ne pas nuire à autrui, qui règle le problème, ce qu'on appelle la compassion, la solidarité humaine... Or, on n'est moins solidaire avec celui qui nous nuit, et d'autant moins qu'il nous a nuit fortement... La vengeance entretient donc le cercle vicieux de la violence, s'oppose à l'humanité et à l'harmonie, sans réellement régler quoi que ce soit sur le long terme.

Elle est donc non seulement dangereuse, mais encore contre-productive et nuisible en elle-même.
Voilà pourquoi on doit la considérer comme immorale. L'homme digne de ce nom doit s'élever au dessus de ce réflexe. Lorsque quelqu'un nous fait du mal, il est préférable de réfléchir sereinement au moyens d'empêcher que ce mal ne se reproduise, en déterminant quelles sont ses causes, et non pas de chercher à satisfaire notre soif de vengeance.

Sans aller jusqu'aux extrémités que nous présente l'actualité récente, je vous invite à regarder dans votre vie de tous les jours, les fois où vous vous vengez. Car je le répète, cette tendance nous habite tous. Cela peut être une simple bouderie (cesser de communiquer est une façon de se venger), une simple réplique dans une discussion etc. Dès que vous vous en êtes rendu compte, prenez vos distances, observer le processus, et adoptez la démarche rationnelle que je viens d'exposer. Ainsi, vous vous améliorerez progressivement de façon à devenir quelqu'un de plus heureux, efficace et apprécié.

De plus, tu parles, ma fille, d'insulte. Il s'agirait donc là de se venger d'une insulte.
Une insulte ce ne sont que des mots, des dessins, des signes, c'est du "virtuel". Il y a une différence de nature entre une nuisance concrète qui impacte le corps d'une personne et un message dont chacun a la possibilité, mentalement, de se détacher.
Nous sommes donc là face un cas de vengeance particulièrement grave puisqu'il y a un accroissement considérable entre l'élément déclencheur (des dessins) et la réaction (des meurtres). Cet acte n'est pas juste moralement problématique, sa nuisance, sa dangerosité sont ici extrêmes. Se venger d'une insulte est encore bien plus nuisible (et donc "anormal" moralement) que se venger d'un meurtre, par exemple.

Peut-on accepter l'insulte ?

Mais revenons-en à ce qui est apparemment la source du problème : l'insulte. N'y a-t-il pas quelque chose de fondamentalement absurde à être touché par de simples mots (ou un dessin, c'est pareil) ? C'est certes une réaction que l'on observe dans les cours de récréation d'une école élémentaire, où un enfant peut être vexé parce qu'on le traite de « gros lard », ou de « sale con », par exemple. Mais quiconque observe les choses avec suffisamment de recul, de calme, ne peut que trouver absurde, risible l'insulte qui lui est adressée, quelle qu'elle soit.

Vous allez me dire que les mots peuvent blesser. Oui, mais pourquoi blessent-ils ?
Ils blessent parce que, déjà, la personne suppose le message exact, ou du moins, pense que certaines personnes vont y croire. Mais alors, ce qui l'affecte reste bien de l'ordre du virtuel, puisqu'il ne s'agit que de pensées, de jugements ? Si quelqu'un fait du bruit toute la nuit, ou produit de la fumée cancérigène sous mon nez, alors oui, il y a une nuisance objective, que je ne peux éviter facilement, mais s'il ne produit que des signes que chacun est libre de percevoir ou pas, d'interpréter comme bon lui semble, c'est différent.
Ces propos affecteront le jugement de ceux qui les perçoivent et nous nous sentons insultés parce que nous avons un fort besoin que les autres nous considèrent d'une certaine façon (qui dans le cas d'une insulte, ne nous convient pas).

Il s'agit, là encore, d'une tendance humaine très répandue. Comme toutes ces tendances spontanées, elle s'explique par une utilité qu'elle a eu à un moment donné, chez de lointains ancêtres. Et dans ce cas, même, contrairement à la soif de vengeance (que nous avons vu tout à l'heure) elle présente encore parfois une utilité, car elle peut nous amèner à bien nous comporter, afin de mériter un jugement favorable.

Mais dans bien des cas, elle est excessive, et par là, source de nuisances.
Supposons que quelqu'un me traite de sale con... cela n'a aucun sens, aucun être humain doué d'un minimum de raison ne peut accorder quelque crédit à de tels propos ? C'est quoi un "sale con", objectivement ? Il n'y a rien d'autre ici qu'une pure aggression. En quoi le fait que quelqu'un nous agresse ainsi virtuellement devrait-il nous affecter ? Réagir, ou même, simplement être affecté, par une telle insulte est donc parfaitement stupide ! Mettons que quelqu'un fasse une caricature de vous. Tout le monde va bien voir que c'est une caricature... Cela n'affecte donc pas le jugement d'autrui à votre encontre (ou alors le jugement de gens qui seraient vraiment très stupides, mais alors, quelle stupidité que d'être affecté par le jugement de gens stupides !)

Ce qui peut nous toucher plus sérieusement, par contre, est l'affirmation d'un défaut que l'on a, et que l'on ne veut pas reconnaître. Souvent, on ne veut pas reconnaître ses défauts, parce que cela véhicule une mauvaise image de soi, on voudrait être bien jugé tout de suite. Et comme on est fâché par la critique, au lieu de l'entendre, d'en tirer parti, on la fuit, quand on n'agresse pas celui par qui elle nous parvient.
Une solution, pour éviter ce problème, est de considérer qu'il est normal d'avoir des défauts, que tout le monde en a, surtout lorsqu'on est jeune, et que chacun doit donc progresser. Et donc, une qualité très importante à cultiver avant toutes les autres consiste à accepter ses défauts, afin de pouvoir s'améliorer.
Celui qui nous critique devrait être perçu comme un ami précieux. L'attitude intelligente consiste à tirer partie de tout ce qu'on nous dit, dans le but de nous améliorer. Ainsi, on aura de moins en moins de défauts, et donc, de moins en moins de critiques justifiées. On ne peut éviter la critique en l'interdisant, c'est un cercle vicieux qui empêche toute évolution positive, tout en créant de la violence.

- Mais lorsque la critique n'est pas justifée ? Qu'on dit des trucs faux sur nous ?

- Une personne peut dire, en effet, quelque chose de dévalorisant sur vous, soit par volonté de vous faire du mal, soit par simple erreur de sa part.
Tout d'abord, vous ne pouvez être absolument sûrs que la critique est erronée... et méfiez-vous, si vous percevez en vous un réflexe de rejet un peu trop rapide de la critique, c'est peut-être bien qu'il y a quelque chose que vous refusez de voir en vous...
Mais supposons qu'en effet, elle soit tout à fait infondée.
Vous me direz qu'elle peut vous nuire en propageant une mauvaise image injustifiée de vous. Tout d'abord, si tel est le cas, c'est que les gens qui souscrivent à ce jugement défavorable, croient en des choses hâtivement, sans les vérifier (puisqu'en l'occurence elles sont inexactes), ce qui est stupide. Pourquoi faudrait-il être dépendant du jugement de gens stupides ?
Et si vous avez raison, que la critique est infondée, il vous sera facile de dénoncer l'erreur, et celui qui devra essuyer l'infamie éventuelle est bien plutôt celui (ou ceux) qui auront fait preuve de méchanceté ou de crédulité. Encore faut-il qu'une morale "intelligente" prévaille. D'où un intérêt supplémentaire à fonder une telle morale...

Cela étant dit, il est clair que répandre des jugements erronnés sur autrui est moralement condamnable.
Mais aussi, croire à une chose sans avoir suffisamment d'éléments de preuve pour cela, devrait l'être également, selon une morale "intelligente", celle, je le rappelle, que nous sommes en train d'établir ensemble.
Mais surtout, une telle morale doit dénoncer la susceptibilité. Chacun doit modérer sa dépendance au jugement d'autrui. Il devient ainsi plus libre, moins manipulable, son bonheur ne dépend plus de ce que vont dire les autres (en particulier ceux qui lui voudraient du mal). Ses ennemis peuvent moins lui nuire. Nous avons tous à gagner à devenir moins susceptibles.

- Oui, mais si la critique ne concerne pas nous-même, mais une personne qui nous est proche ?

- On peut mal prendre une remarque ou représentation qui concernerait un proche, en effet, et plus généralement, toute personne qui nous est cher. On pourrait penser qu'il s'agit là d'une susceptibilité moins "égoïste", voir "altruiste". Mais ce n'est pas, pour prendre cet exemple, aimer sa mère que de réagir à l'insulte « fils de pute », c'est être attaché à un jugement porté contre elle : c'est aimer l'image de sa mère qui se trouve dans la pensée de celui qui profère l'insulte. Quelle soumission à celui-ci !

- Et si quelqu'un insulte une religion ?

- intéressant... Une religion n'est pas une personne ; c'est un ensemble de croyances et de prescriptions. Quand on réagit à une insulte envers un proche, on se met à la place du proche dont on partage la "blessure". Mais en quoi une religion, qui est une pratique, une idée, et non pas un être animé, pourrait-elle être blessée ? Fondamentalement, une religion ne peut pas être plus insultée, qu'un téléphone ou une prescription médicale. Ça n'a donc aucun sens, de sentir une religion insultée.
Une telle idiotie est étonnante mais existe parce que nous avons affaire, ici, à des réflexes, qui court-circuitent la raison.

- Et si l'insulte porte sur un prophète ?

- Si vous êtes touché par une telle insulte, j'imagine que ce prophète est une personne qui vous est chère, ce qui nous ramène à un cas déjà évoqué. Mais dans ce cas, c'est tout particulièrement absurde, pour la raison suivante. Être sensible à une telle insulte, c'est prendre part à la blessure que l'on suppose qu'il ressentirait, alors qu'il est généralement déjà mort, mais passons sur ce détail. C'est donc supposer que ce personnage est sensible à une injure (généralement stupide)... N'est-ce pas lui attribuer un manque de sagesse pour le moins flagrant ?
Et si, de plus, on voudrait le venger, n'est-ce pas lui attribuer de surcroît le besoin d'être vengé (ça n'aurait pas de sens de venger quelqu'un qui ne le souhaite pas), besoin qui est, comme nous l'avons vu, au-dessous de tout en terme de morale et de sagesse élémentaire ? Qui insulte qui, là ?

Mais il y a autre chose. Tu n'as pas dit tout à l'heure : « le prophète a été insulté », mais « ils nous insultent avec des dessins du prophète »...
C'est donc, bien toi-même (avec d'autres personnes ici, mais peu importe), qui t'es sentie insultée; mais : « avec des dessins du prophète ». C'est-à-dire que tu as considéré inconsciemment comme faisant partie de toi (de ton honneur, pourrait-on dire), quelque chose qui ne fait pas objectivement partie de toi... On voit bien ici, que la réaction de susceptibilité est fondamentalement égocentrique, mais avec un égo étendu au delà de soi-même. Des choses sont ajoutées à "soi". Le problème dans cette extension d'ego est que le nombre d'occasions d'être blessé est accru. Il y a donc aggravation du risque de violence...
De plus, il y a un problème ici (défense d'un prophète ou d'une religion) dans le fait que des gens vont penser défendre une noble cause, alors qu'ils ne font que défendre leur ego. Du coup, il vont commettre d'autant plus facilement des violences qu'ils ne vont pas avoir conscience de leur manque de sagesse et de moralité, voire même se prendre pour de nobles héros, trouvant ainsi une motivation supplémentaire. Et on constate, en effet, que les actes les plus barbares sont souvent souvent perçus comme honorables par leurs auteurs.
Nous voyons là encore, en passant, toute l'importance qu'une morale soit bien pensée, afin qu'elle serve nos objectifs (à savoir, ici : la paix et la concorde), et non pas ce qui s'y oppose. Et vous voyez donc l'importance de bien prendre le temps de la réflexion, pour fonder logiquement une morale.

Respect et liberté d'expression

- Mais n'est-ce pas important des respecter les religions ?

- Les religions sont souvent riches de beaucoup de sagesse, et en cela, il est bon non seulement de ne pas les rejeter mais aussi d'y chercher des idées utiles. Par contre, il est important de ne pas adhérer hâtivement et sans discernement à la première religion venue. Il faut y adhérer (si tel est notre choix) pour une bonne raison : ni par paresse, ni par orgueil (parce que ce serait celle de notre culture)...
Comme nous venons de le voir, le problème n'est d'ailleurs pas tant les religions, que le fait que certains en font une part de leur identité, et donc, un sujet de susceptibilité égocentrique. Il n'est pas bien difficile de deviner, en effet, que ce phénomène psychologique est une source de violence, et certainement pas de sagesse.
Lorsque la susceptibilité concerne un groupe, et pas seulement une personne isolée, le problème est même plus grave, car d'une part, les membres de ce groupe vont souvent s'entretenir mutuellement dans leur blessure collective, qu'il vont aggraver : car plus vous vous rappelez vos souffrances, plus vous les renforcer ; mais aussi, ils vont pouvoir coopérer au service de leur éventuels projets de vengeance, cette coopération étant au service de la violence, là... ce qui donne des guerres...

J'aimerais également attirer votre attention sur cette notion de "respect". Je vais vous montrer que ce terme peut être utilisé comme un moyen de manipuler, c'est-à-dire de faire adopter une attitude d'une façon généralement hâtive sans que la raison n'intervienne (chez la personne manipulée) ou du moins, en lui faisant commettre des fautes de logique. La manipulation dont il est question ici est celle qui consiste à influencer via une connotation usurpée découlant d'une polysémie. Je m'explique.
Le mot "respect" est utilisé dans plusieurs sens différents (ce que l'on appelle une polysémie).
On parle souvent de manque de respect envers quelqu'un (indépendamment de tout rapport hiérarchique) lorsqu'on l'humilie délibérément... Du fait de cet usage fréquent, "respecter" est perçu comme une bonne chose. Être accusé de manque de respect est culpabilisant, mais aussi, par compassion, on a tous envie d'être "respectueux". Mais selon le contexte, ce terme peut prendre d'autres sens. Par exemple, respecter un supérieur signifie souvent « se soumettre à lui ». Ainsi, ne pas se mettre à plat ventre devant le roi correspondait, dans certaines civilisations, à un manque de respect. On comprend ici, qu'un dominateur peut nous manipuler en disant non pas « tu ne te soumets pas à moi » (à quoi on répondrait volontiers «-bah oui, pourquoi le devrais-je ?»), mais « tu me manques de respect » (« -oh, pardon !»). Il faut donc bien distinguer entre les marques de respect dues à toute personne (comme le fait de les écouter ou de leur répondre, sauf urgence particulière, évidemment), et une soumission à un supérieur.
Le mot est utilisé dans un autre sens encore lorsqu'on parle du respect d'une pratique : ça signifie alors simplement l'adopter, se conformer à ses règles. Ainsi, des gens qui voudraient imposer leur religion par la manipulation peuvent être tentés de dire à ceux qui y sont extérieurs, non pas « vous ne pratiquez pas notre religion » (« -bah oui, pourquoi le devrions-nous?»), mais « vous ne respectez pas notre religion» (« -oh, pardon !»)... ne pas respecter étant perçu comme immoral ou violent (à cause du premier sens du terme), certains peuvent alors être tentés d'adopter des pratiques d'une religion (aussi absurdes soit-elles), par "respect" pour celle-ci (et par extension, pour ses adeptes)...

Respecter quelqu'un, ne doit pas être confondu avec faire tout ce qu'il faut pour ménager sa susceptibilité ou ne pas s'attirer ses foudres, respecter quelqu'un, c'est certes ne pas lui faire de mal, mais globalement et sur le long terme. On sait très bien que dans certains cas, il peut être utile de faire souffrir quelqu'un, en lui disant certaines vérités, par exemple, car cela est bon pour lui, à long terme. Respecter quelqu'un, c'est participer à son bonheur (qui concerne le long terme), lequel passe par l'éducation... C'est pour la même raison qu'on n'aide pas un enfant en lui passant tous ses caprices, car l'enfant doit apprendre à supporter le fait que tous ses désirs ne peuvent être satisfaits immédiatement, dans le monde réel; sinon, il sera malheureux toute sa vie. Le respect véritable s'oppose bien souvent à un respect apparent qui n'est que lâcheté.
Les religions doivent être acceptées sereinement et librement, pas imposées que ce soit par la force ou la manipulation. On peut d'ailleurs lire dans le Coran : « point de contrainte en religion, car le bon chemin s'est distingué de l'égarement ».

- N'est-il pas souhaitable, parfois, d'éviter de faire une chose, parce que cela risque de blesser quelqu'un ?

- Oui, bien sûr. Si par exemple, on sait que telle personne va tout casser si on fait une chose qui ne présente pas un grand intérêt par ailleurs, il serait stupide de faire cette chose (par simple révolte contre la connerie de cette personne, ce genre de révolte étant d'ailleurs une autre forme de connerie). Il est souvent utile, en pratique, de faire preuve de tact.
Par contre, le tact ne doit pas être confondu avec la lâcheté, la paresse. Les préoccupations à court terme de doivent pas occulter celles à plus long terme. Si, jours après jours, on se conforme aux exigences imposées de fait par des gens susceptibles sans par ailleurs, chercher à les éduquer le plus rapidement possible (de façon à ce qu'ils deviennent moins susceptibles), au point que la vie devient pénible pour tout le monde, par manque de liberté, c'est évidemment un problème. Indisposer momentanément une personne susceptible peut s'avérer préférable, au vu des conséquences à plus long terme. S'il est évidemment stupide de provoquer par pure révolte ou cruauté, il est néanmoins souhaitable de manifester, à un moment ou à un autre, son refus de ne pas pouvoir exprimer ce qui aurait besoin de l'être, à cause de la susceptibilité de certains.
Il faut donc : dénoncer et soigner la susceptibilité, tout en en tenant compte à court terme lorsque cela se justifie vraiment.

- oui, mais insulter, ça ne sert à rien, ne devrait-on pas interdire cela ?

- Il est important de réaliser que le caractère insultant d'une chose est une donnée très subjective. Il n'y a pas, fondamentalement, des choses qui seraient, en elles-mêmes, des insultes, et d'autres qui n'en seraient pas. Il y a des choses perçues comme plus ou moins insultantes par telle ou telle personne.
Présenter l'insulte comme une réalité qui serait objective (en disant « il m'a insulté »), est une façon pour la personne "touchée" par les propos, d'éviter de réaliser les causes intérieures de sa souffrance en désignant un coupable extérieur.

Le problème est qu'il n'y a pas de limite claire entre ce qui est une injure et ce qui ne l'est pas... Voilà pourquoi ce qu'il faut dénoncer et éviter absolument en chacun d'entre nous n'est pas le fait d'injurier quelqu'un mais le fait d'être sensible à l'injure.
Car même lorsqu'une personne injurie délibérément, dans le but de faire mal ou d'attiser la guerre, on voit bien que sa manoeuvre n'aurait aucun effet avec des gens non susceptibles ("adultes").
Tandis qu'inversement, si l'on interdit seulement d'injurier, on ne pourra pas empêcher que certains ne se sentent injuriés par des propos qui n'avaient pas cette vocation (puis se vengent par des nuisances bien réelles, elles...) Cela laisserait un risque important de dérives violentes.

Nous venons de voir deux sources de problèmes qu'il faut absolument dénoncer : la tendance à se venger et la tendance à se sentir insulter. Mais on peut noter également que la conjonction de ces deux travers est particulièrement dangereuse : leurs nuisances ne font pas que s'ajouter.
En effet, si les gens savent qu'ils ne peuvent plus exprimer ceci ou cela, car ils risquent des représailles, ils vont préférer se taire, et donc, ne pas dire ou partager des choses qui pourraient être utiles. Non seulement cette conjonction accroît, donc, directement les conflits et la violence, mais elle s'oppose à la liberté d'expression, laquelle est nécessaire à la liberté de pensée et au progrès, y compris moral...

Bien sûr, ne pas pouvoir dire des insultes stupides du genre "sale con", ce n'est pas très gênant pour le progrès de la pensée. Mais ne pas pouvoir dire à une personne qu'elle a tel défaut, ça oui, c'est dommage, car cette personne ne va pas pouvoir s'améliorer, et va continuer à nuire aux autres et à elle-même à cause de son défaut.
De même, ne pas pouvoir dire qu'une religion est une source de violence serait aussi bien évidemment un gros problème. D'une part parce que cela empêcherait de réduire des violences existantes (en en dénonçant la cause), si l'affirmation est vraie, bien sûr, mais on ne peut pas le savoir si l'on ne peut pas en discuter... mais aussi, parce que la susceptibilité des croyants concernés va entraîner elle-même des violences supplémentaire (lorsque inévitablement, certains vont signaler le problème, ou quoi que ce soit qui amène à en prendre conscience).
On comprend qu'il est très important que tout le monde puisse librement critiquer les religions, les politiques et tout ce qui a un rapport avec les activités humaines.
Notez bien que je n'ai pas sous-entendu là qu'une religion (ou plusieurs) posait des problèmes de violence... c'est juste un exemple pour expliquer la nécessité de la liberté d'expression. Supposer un tel sous-entendu relèverait clairement d'une susceptibilité excessive (puisque ne correspondant pas à une réalité avérée)...

Dans une société civilisée, il est souhaitable qu'on n'en vienne pas aux mains pour des désaccords sur des idées, et que quiconque n'est pas d'accord avec une idée se contente d'expliquer sa position en argumentant !
Il est également souhaitable de rendre possible un grand nombre de moyens d'expression. Dessiner un personnage historique peut être utile : pour illustrer un livre d'Histoire, par exemple.
Ce qui devrait être évité, si l'on veut une société durablement apaisée n'est donc pas tel ou tel mode de représentation, mais la susceptibilité ou l'autoritarisme des gens qui ne l'accepteraient pas. Car ainsi, on ne contraint personne, et chacun peut mieux exprimer ce qu'il ressent. C'est donc à chacun de progresser vers plus de sagesse.

- N'y a-t-il pas des cas où il est souhaitable de limiter la liberté d'expression ?

- Je dirais que oui, lorsqu'il y a un risque élevé de nuisance importante, qui ne serait pas dû à une simple susceptibilité.
Il est clair que certains messages peuvent être nuisibles sans apporter quoi que ce soit de possiblement utile.
Si un propos incite clairement à la haine et à la violence (un appel au meurtre, par exemple), mais aussi tout ce qui alimente le rejet de personnes indépendamment de leur comportement réel (ce qu'on appelle le racisme)...
Également : si vous dites du mal d'une personne, en sachant pertinemment que vous mentez : ce qu'on appelle la calomnie. Il est clair que ça n'a généralement aucun intérêt, tout en présentant un risque de nuisance évident.

- Oui, mais vous avez dit que les gens n'étaient pas obligés de croire hâtivement à ce qu'ils entendent. La liberté d'expression pourrait être complète, il suffirait que chacun ait un droit de réponse.

Que chacun ait un droit de réponse est une idée que j'approuve. C'est une règle que l'on peut ajouter à notre morale.
Mais ce qu'il faut bien voir aussi, c'est que le manque de rigueur et de prudence intellectuelle est un défaut assez répandu que l'on ne pourra jamais supprimer complètement. Et donc, pour cette raison, il peut être souhaitable que certains propos soient condamnés.
Ce qu'il faut éviter, je pense est qu'une telle interdiction n'empêche d'émettre des thèses purement techniques, car ce serait un obstacle au progrès de la pensée. Où alors, ces thèses devraient être impérativement accompagnées de démonstrations valables... Mais beaucoup de discours, suscitant de la violence, ne relèvent pas d'une telle objectivité, et donc, s'en passer ne pose aucun problème...

Comme vous le voyez, cette question de la liberté d'expression est assez délicates, et on peut toujours essayer d'améliorer les choses.
Je pense que nous devrions être d'accord, aujourd'hui, sur le point suivant : Des propos qui susciteraient des réactions hostiles de certains parce qu'ils les jugeraient insuffisamment respectueux ne peuvent, pour cette seule raison, tomber sous le coup d'une interdiction, car il est trop facile pour celui qui le souhaite, de percevoir de l'irrespect dans tout ce qu'il veut (il lui suffit d'un peu d'imagination).

Conclusion

Nous reviendrons, lors de la prochaine leçon, sur l'origine de ce phénomène qu'est la susceptibilité, de façon à mieux comprendre un certain nombre de difficultés concernant les relations humaines. Par exemple : pourquoi certains vous réagir non pas à une représentation en tant que telle, mais à une intention supposée de son auteur.
En attendant, vous pouvez tester votre compréhension du cours en répondant aux questions suivantes, puis appliquer à votre vie de tous les jours ce que nous venons de voir.

  1. Qu'est-ce que notre morale pour une paix durable doit condamner en priorité, l'insulte ou la susceptibilité ?
  2. Pourquoi ?
  3. Pour quelle raisons, la vengeance doit-elle être moralement inacceptable ?
  4. Indiquez trois circonstances aggravantes (concernant le phénomène de vengeance).
  5. Quelles doivent être les limites à la liberté d'expression ?

Exercice pratique
Prenez l'habitude de considérer et de dénoncer comme immorale : la vengeance, la méchanceté gratuite, la crédulité hâtive, la susceptibilité, l'extension d'ego.. (afin de propager une morale bénéfique).
Notez toutes les vélléités de vengeance et manifestations de susceptibilité que vous observez en vous-mêmes. Examinez bien d'où elles proviennent, ce à quoi vous êtes attachés, réalisez l'éventuelle absurdité de la chose, puis établissez un comportement rationnel par lequel vous pouvez les remplacer.


Leçon 2 : Origines de la susceptibilité

voir l'historique

Citations et reproductions (sans besoin d'autorisation) aux conditions suivantes seulement :

  1. Mentionner les sources (ici: l'adresse du présent site ou de la page).
  2. Pour une reproduction sur internet, ne citer que des extraits et mettre un lien hypertexte vers la page d'origine.
  3. Pas d'utilisation commerciale ou lucrative

Pour les autres cas, nous contacter au préalable. Merci de votre collaboration !